Tout débute avec une rencontre à l’université. Lui est en première année, tandis qu’elle est en terminale. Selon le jargon étudiant au Japon, elle est donc la Senpai et lui le Kôhai. Nous ne connaîtrons jamais leur nom, mais cela n’a pas d’importance, car ils représentent chacun de nous – nous sommes tous la Senpai ou le Kôhai de quelqu’un d’autre. Nous pouvons aussi les appeler Cigarette et Cherry, qui sont également les titres de ce manga en 11 tomes de Daishirô Kawakami, dont le dernier a été publié en décembre 2022.
Retour sur cette romance feel-good qui fait partie de la Collection Life des éditions Kana.
Cigarette & Cherry
Bien que le Kôhai du manga ne soit pas explicitement appelé Cherry, il est intéressant de se demander pourquoi ce surnom est utilisé dans le titre. En anglais, l’expression « to pop the cherry » (éclater la cerise) est couramment utilisée pour parler de « premières fois », bien que cette expression ne soit plus nécessairement associée au sexe. Elle vient en fait de l’idée que les cerises (cherries en anglais) poussent par paires, tout comme les testicules, et que perdre sa virginité était symbolisé par l’éclatement de cette « cerise ». En utilisant ce surnom, le titre du manga fait donc référence à la virginité du Kôhai, qui est l’une de ses principales préoccupations. Cette virginité est d’ailleurs personnifiée sous forme de petit fantôme qui accompagne le personnage dans toutes ses situations et lui rappelle cette obsession de manière humoristique.
Le personnage de Cigarette correspond au mythe de la femme fatale fascinante qui fait chavirer les cœurs. Elle masque ses émotions derrière le voile de fumée de sa cigarette et fascine par son air sévère et sombre. En tant qu’aînée et plus expérimentée, sa maturité est également un sujet de fantasmes pour certains. Pour un jeune homme vierge et impatients de découvrir sa vie sexuelle, quoi de mieux que d’imaginer être guidé par une femme qui a déjà beaucoup plus d’expérience dans ce domaine ?
La phrase « séduire est un art délicat » est utilisée comme accroche sur la quatrième de couverture de chaque tome du manga. Curieusement, la communication met l’accent sur la drague et la séduction. En lisant cela, j’ai donc eu l’impression que le manga mettrait en scène les assauts répétés et désespérés d’un jeune homme essayant de draguer une femme aussi belle qu’inaccessible, un peu comme le personnage de Bip-Bip dans les dessins animés, qui essaie constamment de capturer Coyote sans succès. Cela aurait donc été un genre de gag manga utilisant l’échec comme source constante d’humour par répétition.
Heureusement, mes doutes ont été rapidement dissipés lorsque j’ai commencé à lire le premier tome. Cigarette and Cherry est en fait bien plus profond et intéressant, une synergie se crée rapidement entre les deux personnages. Même si le Kôhai est extrêmement maladroit et inexpérimenté, sa candeur finit par toucher la Senpai. Son comportement sincère et spontané la fait craquer et révèle au fil des tomes une sensibilité et une fragilité cachées. Plutôt qu’une histoire de séduction, Cigarette & Cherry raconte avant tout l’évolution de ces personnages.
Comme le Central Perk dans la célèbre série TV Friends, le café où travaillent les personnages est le centre névralgique du manga. L’entourage de la Senpai et du Kôhai est exclusivement composé de collègues, tous des personnages hauts en couleur qui respectent certains archétypes mais sans jamais tomber dans la parodie ou le mauvais goût. Des personnages surnommés « Blondinette », « Namajime » et « Mocchan » (les noms réels de ces personnages ne sont jamais révélés) gravitent autour du café, embauchés par le patron, un vieux monsieur bienveillant qui aime bousculer un peu le groupe pour faire avancer les relations. Ses interventions sont toujours pleines de surprises et apportent de la joie au lecteur.
Les personnages du manga s’adressent les uns aux autres avec des surnoms ou des diminutifs, ce qui renforce l’immersion dans l’histoire et crée immédiatement un lien affectif fort entre eux et avec le lecteur. Chaque personnage a ses propres surnoms préférés pour ses camarades. Ainsi, « Blondinette » peut être appelée « Le Gorille » et le Kôhai restera toujours le « Nouveau » du café. L’évolution de ces personnages est au cœur de l’histoire et l’auteur réussit à la représenter avec brio à travers les dialogues et les changements visuels, tels que les tenues et les coupes de cheveux qui évoluent au fil du temps. Le parallèle entre les cheveux du Kôhai et ceux de la Senpai entre le début et la fin de la série est particulièrement intéressant à observer.
La fin de la série est absolument satisfaisante et cohérente. Toutes les problématiques sont résolues et nous avons également droit à un épilogue se déroulant plusieurs années plus tard, avec un twist charmant. Sans en révéler trop pour ne pas gâcher la surprise, je pense que les tomes finaux sont très importants et celui-ci répond à toutes les attentes sans laisser de frustration.
Le style de Daishirô Kawakami est visuellement très agréable avec des planches riches en décors et en trames offrant de belles mises en scène pour les personnages, qui sont tous très expressifs. Mention spéciale à la Senpai, qui affiche souvent un air mélancolique mais chargé de micro-émotions face aux nombreuses expressions et mimiques improbables du Kôhai. En ce qui concerne le ton et le rythme, contrairement à certaines comédies romantiques qui peuvent se prendre trop au sérieux ou tourner en rond, Cigarette and Cherry avance à un rythme satisfaisant et a un ton adapté à chaque situation.
Cependant, il est important de noter que le romantisme à la japonaise est souvent très rapide et que les personnages tombent amoureux avant même d’entamer une relation, ce qui est commun à la plupart des comédies romantiques. Cette série comporte également quelques quiproquos absurdes, comme la plupart des comédies romantiques. L’humour est fréquent et généralement réussi grâce à des dialogues crédibles et aux interactions entre les personnages. Les réactions et les discussions tourmentées du Kôhai avec ses pensées obscènes sont particulièrement amusantes.
En ce qui concerne l’édition, Kana a fait un excellent travail avec des jaquettes dotées de textures mates et qui présentent systématiquement un portrait de la belle Senpai avec sa cigarette au bec. Les tomes comprennent également un sticker imitant les messages de prévention sur les paquets de cigarettes, mais adapté au thème de la série. C’est une addition amusante mais dispensable qui n’est pas toujours très inspirée selon les tomes.
Cependant, le principal message mettant en valeur la prévention est important, surtout dans un manga qui, malgré tout, fait légèrement l’apologie de la cigarette.
Tous les tomes du manga Cigarette and Cherry sont disponibles dès maintenant dans toutes les bonnes librairies au prix de 7.55€